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Hassan MASSOUDY
Hassan
MASSOUDY est né en 1944 à Najef, une ville du sud de
l'Irak. Il grandit dans une société traditionnelle marquée
par la rigueur de la religion et la brûlure du désert,
mais aussi par la joie collective des grandes fêtes et l'esprit
de solidarité. Très jeune, dans cette ville où
toute image est prohibée, il investit sa passion de l'art dans
le dessin et la calligraphie et consacre toute son énergie
à se procurer papiers et pigments. En 1961, il part pour Bagdad
comme apprenti chez différents calligraphes. Il y apprend son
métier. Il visite des expositions d'art moderne qui l'émerveillent
et rêve de faire des études d'art. Mais
il se trouve pris au coeur de la tourmente politique qui conduira
à l'avènement de la dictature. Après de multiples
séjours en prison, il quitte l'Irak pour la France en 1969,
libre mais déchiré.
Il entre à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. Là, il fait de la peinture figurative. Il n'abandonne néanmoins pas la calligraphie, elle lui sert à financer ses études en réalisant des titres pour des revues arabes. Petit à petit, la calligraphie va s'infiltrer dans sa peinture figurative, pour, à la fin, prendre sa place et la faire disparaître.
En
1972, avec le comédien Guy Jacquet, puis rejoint quelques années
plus tard par le musicien Fawzy
Al Aïedy, il créé le spectacle Arabesque et commence à faire des créations publiques
de calligraphie arabe projetée sur grand écran. Avec
ce spectacle, mêlant musique, poésie et calligraphie,
durant treize années, ils vont tous trois sillonner la France
et l'Europe. Par cette pratique, Hassan Massoudy est à la recherche
de la spontanéité du geste et de l'instantanéité
de l'expression. Cette expérience marque un tournant dans son
travail.

Arabesque,
photo © Djamel Farès 1985
Le
tracé de sa calligraphie devient plus rapide et son geste plus
large. Traditionnellement la calligraphie arabe se réalise
principalement en couleur noire. Afin de mieux exprimer ses sensations,
il va introduire la couleur dans ses oeuvres de grand format sur papier.
Parallèlement
à ses créations picturales, seul, il va continuer à
faire des créations/improvisations en public, intitulées Calligraphie d'ombre et de lumière (voir la programmation
éventuelle dans expositions
et événements). La calligraphie naît sous
nos yeux. Les signes noirs s'inscrivent dans la lumière. Les phrases,
les mots, les lettres, sont projetés sur l'écran. Avec lenteur, se
déploient les pleins et les déliés qui évoluent librement dans l'espace.
Puis le geste s'accélère, le mot se charge d'énergie pour mieux maîtriser
son équilibre. L'esthétique de la calligraphie, sa géométrie, ses
rythmes, se dévoilent. Les compositions se construisent. La gestuelle
dynamique donne vie à la poésie.

Hassan
Massoudy Calligraphie d'Ombre et de Lumière
En
1995, il participe au décor du ballet Selim, avec Kader
Belarbi danseur étoile de l'Opéra de Paris et Houria
Aïchi chanteuse, sur une chorégraphie de Michel Kalemenis.
 
Kader
Belarbi et Houria Aïchi, ballet Selim
En
2005 il rencontre la danseuse et chorégraphe Carolyn Carlson
ainsi que le musicien et joueur de ney Kudsi Erguner. Tous trois,
accompagnés de trois danseurs et trois musiciens, vont créer
le spectacle Métaphore où musique, danse et calligraphie
vont vivre en harmonie. Ce spectacle fut créé au festival
d'Istanbul en juin 2005, puis il fut interprété en 2006
en France à Dijon, Perpignan, Roubaix, Châlons en Champagne,
et en Italie à Rome au Teatro Valle.

Spectacle Metaphore, chorégraphie Carolyn Carlson
Les
créations d'Hassan Massoudy sont le fruit d'une rencontre entre
le passé et le présent, entre l'art oriental et l'art
occidental, entre la tradition et la modernité. Il perpétue
la tradition de la calligraphie tout en rompant avec elle. Il épure
son trait, tend vers une grande simplicité de la ligne. Le
contenu : les mots, les phrases qu'il calligraphie, ont été
écrits par des poètes, des écrivains du monde
entier, ou dits simplement par la sagesse populaire. Son oeuvre est
traversée par une culture humaniste. L'émotion ressentie
à la vue de ses calligraphies est procurée par le mouvement des lignes, leur légèreté,
leur transparence, le rapport entre le noir et le blanc, le plein
et le vide, le concret et l'abstrait.
Hassan
Massoudy a gardé de sa formation de calligraphe, en Irak, l'esprit
noble de l'artisan qui fabrique ou invente ses outils et prépare
lui-même ses encres à partir de liants et de pigments
colorés.
Il expose ses calligraphies
régulièrement et a déjà publié
une vingtaine de livres.
Il a reçu : - 2003 Ttrophée Pierre Cardin à la "7ème fête de l'écriture et de l'épistolaire", Théoule sur Mer, - 2010 Hommage du "Festival de Musique Sacrée de Dijon-Beaune", - 2014 Médaille de la bienale de calligraphie de Sharjah
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Pour en savoir plus sur
sa biographie, lire Si loin de
l'Euphrate (éditions Albin
Michel, 2004)
Récit
émouvant sur sa jeunesse en Irak et son adolescence pendant les débuts
de la dictature.
Calligraphie noire pour accroître l'intensité du blanc
Calligraphie couleur pour engendrer la chaleur
Calligraphie lumineuse pour rêver
Calligraphie courbe pour la tendresse et la grâce
Calligraphie joyeuse pour la vie
Calligraphie pure pour la beauté et l'amour
Calligraphie libre pour l'élévation
Calligraphie grave pour la dignité
Calligraphie épurée pour la vigilance et l'éthique
Calligraphie droite et vigoureuse pour bâtir une digue contre l'ignorance
Calligraphie dynamique pour s'opposer à l'immobilité
Calligraphie spatiale pour s'évader dans le vide
Calligraphie finie pour rêver l'infini…
Hassan MASSOUDY - 2005 |
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Comment
un poème va-t-il devenir calligraphie ?
Comment
de parole, va-t-il devenir signe ?
La valeur
de la beauté chez les calligraphes classiques, pour transcrire
un poème, résidait dans la perfection du style choisi
avec ses règles et ses codes connus et reconnus de tous.
Ce que pouvait ajouter le calligraphe, c'était davantage
de vie à la ligne qu'il traçait. Aujourd'hui, pour
moi, la démarche est différente : je focalise mon
regard sur les images poétiques. Quel mot va s'imposer pour
être magnifié ? Je compte les lettres droites puis
les courbes afin de pouvoir leur donner un rythme en les composant.
Je rêve sur ces lettres. J'imagine le mot dans les différents
styles de calligraphie. J'esquisse quelques traits en transformant
les lettres, je les déplace, les modifie. En même temps,
plane dans ma tête l'image du poète. Elle est tout
d'abord floue. Certaines images se révèlent plus vite
que d'autres, parfois dès le premier jour, d'autres fois
après des mois et des mois. Cette lenteur signifie que je
n'ai pas encore percé l'énigme de l'image. Il me faut
donc persévérer.
Le trait,
en tant qu'énergie, et dans son adéquation avec le
sens des mots, doit refléter deux choses : d'un côté
une force et une rigueur, de l'autre un relâchement et une
grâce. Ce trait doit suggérer sa trajectoire par son
apparence : geste poussé ou tiré, rapide ou lent,
lourd ou léger, posé ou jaillissant. Si le trait est
vivant, il est le reflet des émotions, la beauté n'est
donc pas loin. Mais la beauté reste inconnue et le doute
est présent. Imiter l'esthétique des anciens n'est
que réplique. Les codes et les techniques doivent être
changés. Ils évoluent à chaque période.
Renouveler la calligraphie exige un accouchement douloureux, une
prise de risque permanente. Il faut se détacher de tout acquis,
s'imprégner du vécu quotidien. Mais il faut aussi
se ressourcer dans les manuscrits ou les fragments brisés
des monuments.
Je
taille mes calames et fabrique mes instruments larges. Je choisis
mes papiers et prépare le jour-même mes couleurs, mélange
de pigments et de liant. L'instrument à écrire, le
papier et la couleur doivent vivre ensemble, mais cette cohabitation
est rarement harmonieuse dès le premier geste.
Les
couleurs à l'eau et la calligraphie demande un travail à
plat. Par des gestes de va et vient, jusqu'à ne faire qu'un
avec la matière, je me sens devenir moi-même calligraphie.
Refléter dans les lettres l'image du poète ou une
forme qui m'habite ou bien encore une forme imprévue, c'est
s'enrichir d'un nouveau tracé, gagné sur le vide blanc
du papier. Je cherche, pour mes calligraphies, un espace vaste et
illimité. Le blanc derrière le mot fait également
partie intégrante de la forme, la calligraphie évoque
donc aussi l'espace par son absence. Elle doit être discrète
et permettre au regard de voir ce qui est invisible. Le plein et
le délié sont la loi essentielle de la calligraphie,
un mouvement, un angle qui définit l'ordre de l'organisation
dans l'espace. Ces pleins et déliés expriment la force
et la fragilité tout à la fois.
Les
proportions ont une grande importance et sont définies au
millimètre près. Ce calcul est perçu intuitivement
par le regard et par le goût de celui qui contemple la calligraphie.
Chaque forme par sa matière picturale, sa densité,
sa hauteur, nous permet de sentir la pression de l'espace et le
combat avec la gravité. C'est une écriture esthétique,
lisible par tout il exercé. Combien de fois ai-je eu
de l'émotion à la vue d'un arbre courbé ? Puis
mes yeux se déplacent vers un second plus élancé,
plus vertical et dont l'élan de la sève nourrit les
branches les plus hautes. En entrant dans mon atelier, je cherche
à retrouver les attitudes de l'arbre. Ma lettre doit être
aussi vigoureuse que la branche. La calligraphie est un art qui
trace l'essence des choses et non le visible. Toute la difficulté
est de dialoguer avec l'invisible. L'esquisse n'est qu'indication,
la forme rêvée ne se réalise jamais pleinement.
Le résultat est une part de hasard malgré tous les
préparatifs d'un accueil favorable. Il suffit que le liant
de l'encre ne soit pas de la qualité requise ou l'instrument
mal taillé, pour tout faire échouer. Le contraire
est aussi possible. Après une journée de travail fatigant,
survient parfois un moment de relâchement où les gestes
nonchalants et désobéissants s'emparent des formes.
Quel étonnement, quelle surprise ! Les calligraphies sont
d'une plus grande liberté. Les gestes planent dans l'espace
sans se heurter, s'envolent très haut sans retomber. Ils
sont larges sans lourdeur, minces sans brisure, aux proportions
saines. Le lendemain, je me prépare à continuer ce
que j'ai fait la veille, et pense avoir trouvé le fil d'or.
Hélas tout est à recommencer, rien ne ressemble à
l'impulsion d'hier. La beauté arrive et s'en va quand elle
le décide.
Il
faut persévérer, être attentif, relire la phrase
poétique, revoir les images, en imaginer d'autres. Recommencer
lentement, très lentement. Au lieu de regarder les lettres,
observer la lumière qui circule entre les gestes calligraphiques.
Continuer, répéter, lutter avec la matière,
avec ce trio instrument-encre-papier, et le mot.
Cette
recherche de la forme juste est celle d'un point d'équilibre
où se rencontre le tout : le poids montant sans retomber,
la dynamique ne brisant pas la forme, la lumière passant
à travers la couleur, l'espace s'insinuant derrière
la forme, l'épuration sans appauvrissement, l'abstraction
sans perte de l'image, le sens des mots, le désir du calligraphe.
C'est enfin se construire soi-même avec chaque calligraphie
et se perfectionner grâce aux matériaux. La construction
géométrique de la forme doit être d'une grande
simplicité.
Si le point d'équilibre exact n'est pas atteint, si c'est
l'échec, on découvre alors ses propres limites, son
humanité et la fragilité de l'être. La calligraphie
peut devenir un indicateur de cette absence de centre, de ce déséquilibre.
Cette expérience devient alors connaissance de soi et même
peut-être évolution si, à l'instant on se relève
pour recommencer.
Nouveau
départ, mais quel choix ? Ralentir pour mieux maîtriser
la rapidité ou accélérer pour mieux cueillir
les fruits de l'impulsion ? Il ne faut pas perdre l'essentiel. Si
les anciennes techniques font barrage, il faut les bousculer et
en inventer d'autres ou s'inspirer des autres arts, écouter
le rythme de la musique ou regarder le mouvement de la danse. La
parole du corps est comme un oiseau dans l'espace, mais comment
planer avec liberté sans tomber ? Il faut beaucoup d'énergie
pour vaincre la gravité et trouver les sensations physiques
de l'espace. Ma calligraphie doit refléter son appartenance
à ce monde. Celui-ci vit à l'heure de la vitesse.
De la vitesse de cette fusée qui a permis à l'homme
de dépasser la loi de la gravité et lui a donné
la possibilité de marcher sur la lune.
Quand
j'estime mon geste juste, le conflit intérieur n'existe plus,
même si cela ne dure que quelques instants. C'est un moment
de joie où l'alphabet n'est plus l'instrument de la raison
mais une attitude d'écriture, une sensation pure qui va rencontrer
facilement le poète qui, sans doute lui aussi, est passé
par le même cheminement. Cette calligraphie reflète
mes visions du monde, elle devient le désir que le monde
soit ainsi une nouvelle harmonie et une nouvelle liberté.
Les
contradictions plastiques sont le reflet de la contradiction de
la vie. En réalité, le point d'équilibre n'existe
pas : Le monde n'est qu'une harmonie de tensions, nous dit Héraclite.
Toute cette expérience n'est qu'une évolution et il
n'y a pas d'évolution sans échec. La calligraphie
est comme tous les arts, l'expression du bonheur et de la souffrance
s'y côtoient. Faire et défaire, et ainsi grandir après
chaque expérience. En face d'une impulsion tragique, la calligraphie
impose une retenue et un contrôle qui permet d'apprivoiser
les troubles. On devient maître de soi pour un moment. Quand
le mot est léger et s'envole, le regard s'oriente vers le
haut et se déplace en suivant la trajectoire du geste. Intuitivement,
je perçois la calligraphie avec une autre échelle
que celle des limites du papier. Elle y gagne en spatialité.
Les gestes du calligraphe deviennent un espace ouvert, accueillant
les mots du poète et l'imaginaire du contemplateur.
Hassan MASSOUDY
Extrait de Calligraphies
d'amour, Editions Albin Michel, Paris 2002
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"La
calligraphie n'est pas l'art d'enjoliver les lettres mais de les
accomplir, de mener à maturité et à efflorescence leur promesse
graphique. On le voit bien lorsque, calligraphiant un poème d'Ibn
Zaydoun sur la brise du matin, Hassan MASSOUDY déploie, dévoile
même sur toute l'étendue de la page, le nuage azuréen de son calame.
La ligne, alors, devient signe, les lettres des nuées d'aube ou
de couchant, et le poème un ciel dansant... Depuis longtemps, j'admire
en Hassan MASSOUDY cet art d'habiller les mots de vêtures d'ange,
de peupler le ciel des pages de nuages somptueux, de sensuelles
volutes. Le poème devient alors chant parallèle, pictogramme éthéré.
C'est par cette calligraphie - et par elle seule - que l'on retrouve
ainsi l'aurore de l'écriture, quand les mots étaient encore les
frères des images..."
Jacques
LACARRIERE
préface
de Calligraphies d'amour,
Edition Albin Michel, 2002 |
"On
admire chez Hassan MASSOUDY l'usage magistral qu'il fait de la couleur
dans ses compositions. Il a des lavis opalescents, des chevelures
d'émeraudes, des camaïeux de beiges qui s'enrichissent de profondeurs
boisées et d'arômes de santal. C'est une ère nouvelle qui s'ouvre
ainsi à la calligraphie.Oui,
les amateurs d'antiquité et d'exotisme risquent d'être déçus. Hassan
MASSOUDY n'est pas le fossile vivant de la vieille calligraphie
arabe... C'est un artiste de notre temps. Son art appartient à cette
fin de XXème siècle, malgré les racines millénaires qu'il plonge
dans la tradition de l'Orient."
Michel TOURNIER
préface de Hassan
Massoudy, Calligraphe, Edition Flammarion, 1986 |
Un calligraphe d'aujourd'hui ou la danse des mots
(article
sur la calligraphie paru dans le Courrier de l'UNESCO 1990) - LIRE
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