Mes lectures sont le reflet de ma vie, à moins que ce ne soit l'inverse ... je retiens telle phrase qui m'a frappé, je cherche à la transcrire en différents styles. Parfois elle me résiste, ne consent à s'ouvrir à l'effort du calame qu'après des semaines, des mois. Mais je suis têtu. Et puis cette traque, cette quête de la sentence qui frappe juste et fort rend la lecture plus excitante encore. Autrefois, dans l'Orient musulman, le contenu de la calligraphie était dicté par le sentiment religieux, ou imposé par le pouvoir politique. Quand le tragique venait à faire irruption dans l'écriture, le calligraphe n'avait pas à intervenir pour en exalter les affres et les tourments. Son art s'arrêtait au seuil des émotions individuelles. Aujourd'hui, je me refuse à fuir l'appel de ces émotions. Le drame du monde - et celui de mon pays singulièrement - sollicite d'un même mouvement mon coeur et mon calame. Les poètes de ce siècle, surtout ceux qui en ont vécu les déchirements, m'inspirent volontiers, comme m'inspirent les événements du jour, les bruits de la vie, les rencontres... Autant de surprises que mon imagination doit accueillir, puis canaliser, puis transmuer - autant de tempêtes que ma pauvre sincérité, souvent mise à mal, doit apaiser.

extrait du Chemin d'un calligraphe